Le Conservatoire de Lausanne à l’heure de l’intégration : pour soi et avec les autres

Les apprenti·es-musicien·nes du Conservatoire de Lausanne ont beau ne pas faire face aux contingences prépondérantes d’une future carrière professionnelle comme leurs aîné·es de l’HEMU, leur formation musicale n’en nécessite pas moins un accompagnement complet et adapté dans toutes les nuances de couleurs d’une société en perpétuelle mutation.

Si dans le haut du panier les meilleur·es élèves continuent à se distinguer en brillant dans les concours et au sein du nouveau programme Jeunes Talents Musique mis sur pied par la FEM à l’initiative de la Confédération, un accent particulier est mis, dans les témoignages récoltés, sur la qualité intégrative déployée au sein de l’institution, en particulier au sein des activités de groupe qui ne cessent de gagner en ampleur. Celle-ci est d’ailleurs affichée noir sur blanc dans le descriptif de poste des responsables de départements du Conservatoire de Lausanne, où l’on lit au chapitre des « responsabilités » : « Promeut par ses actes et son exemplarité le renforcement de l’esprit communautaire et des liens élèves/PP/PAT et veille au respect de la Charte éthique au sein du service. »

Par Antonin Scherrer

Responsable des maîtrises, Pierre-Louis Nanchen souligne le caractère fédérateur de tels ensembles, leur enthousiasme communicatif, mais également ce qu’ils confèrent en termes de plaisir et d’assurance à celles et ceux qui y prennent part.

« L’identité du groupe permet à l’enfant de se révéler (à) lui-même et de faciliter son cheminement vers l’autre, estime-t-il. À condition d’être bien dosée, l’intégration de profils différents est source d’épanouissement. Le privilège d’être amené à collaborer avec des structures comme l’Opéra ou l’Orchestre de Chambre de Lausanne permet aux enfants de découvrir la réalité du monde professionnel et les richesses du spectacle vivant, tout en offrant une vraie contrepartie au tissu musical local. »

Responsable du département Bois, Cuivres, Percussions et Accordéon, Sooa Chung ne dit pas autre chose lorsqu’elle fait l’inventaire des prestations extra muros réalisées avec sa classe de flûte traversière au cours de l’année écoulée, en particulier en direction des publics âgés, malades ou empêchés, « qui ont tant de plaisir à entendre de la musique et à être en contact avec la jeunesse » : CHUV, Sylvana, Hôpital de Lavaux, Les Baumettes, Béthanie, mais aussi Schubertiade des enfants, Week-end musical de Pully, Fête de la musique… l’horizon ne connaît pas de limite. Ou quand le don de soi est aussi un don à soi.
L’intégration ne se limite certes pas – loin s’en faut – à la seule pratique de groupe : elle commence par l’accueil individuel de chacune et de chacun au sein du cours d’instrument – avec son potentiel et ses limites, ses qualités et ses défauts, ses envies et ses peurs, bref ses différentes, ce qui fait d’elle ou de lui un·e apprenti·e-musicien·ne unique. « Placer l’élève au centre de notre approche pédagogique est primordial pour son développement musical et personnel », estime ainsi Angelo Lombardo, Adjoint à la direction du Conservatoire de Lausanne et enseignant de solfège.

« Nous concevons nos programmes d’enseignement pour répondre aux besoins et aux aspirations de chacune et de chacun. L’échange constant entre les enseignant·es et les élèves est essentiel pour créer un milieu d’apprentissage interactif où chaque personne est reconnue et valorisée. Notre objectif est de fournir un enseignement sur mesure et de cultiver un environnement encourageant, permettant ainsi l’épanouissement de chaque élève au sein de notre institution. »

VERS UNE MUSIQUE POUR TOU·TES : INCLUSION DANS L’ENSEIGNEMENT MUSICAL

En passe d’initier un CAS à la Hochschule der Künste de Berne intitulé « Enseignement musical et besoins particuliers », Catherine Pillonel Bacchetta va plus loin : enseignante de chant classique, elle nourrit de longue date l’ambition de dépasser une culture élitiste de la formation musicale, particulièrement marquée dans l’environnement lyrique qui est le sien.

« Nous voyons arriver aux auditions d’admission des candidat·es souvent plus âgé·es que les pianistes ou violonistes en herbe, et tou·tes n’ont pas d’emblée un potentiel vocal évident. Ce que nous sentons en revanche, c’est ce petit quelque chose à développer qui appelle le guide, cette envie de chanter et de faire de la musique qui transparaît même au travers d’une chanson populaire. Il se peut également que ces débutant·es n’aient encore que peu ou pas de bagage théorique, et s’embarquer dans l’apprentissage du chant ou d’un nouvel instrument peut s’avérer dès lors plus compliqué que prévu. À l’image du système scolaire, le cursus d’apprentissage musical traditionnel est assez formaté, et ceux-là même qui ont rencontré des difficultés d’apprentissage à l’école peuvent se heurter aux mêmes problèmes dans leur parcours musical. Il me paraît pourtant évident que les personnalités les plus intéressantes et les plus touchantes ne rentrent souvent pas dans un moule. À la lumière de nombreuses publications, j’oserai même affirmer que les personnes dites ‹ neurodivergentes › ou ‹ neuroatypiques ›, à savoir dont le cerveau fonctionne différemment de la ‹ norme ›, ont à offrir une vision du monde unique et possèdent souvent un fort potentiel artistique. Nous commençons à connaître ces profils (autisme, TDAH, dys-, etc.), qui se révèlent moins marginaux que ce que l’on a pu penser puisque 15 à 20% de la population mondiale est concernée. Or nous nous bornons encore trop souvent à les percevoir comme des handicaps et à ne considérer que les seules difficultés rencontrées au détriment des forces à exploiter. »

Forte de ce constat, Catherine Pillonel Bacchetta se réjouit des initiatives prises récemment par le Conservatoire de Lausanne, sous l’impulsion de la FEM, qui vise à intégrer davantage d’inclusivité dans les enseignements prodigués.

« Comme expliqué plus haut, s’ils ne sont certes pas tous des petits génies, certains élèves ne fonctionnent pas ‹ moins bien › que les autres, mais différemment, et il existe diverses stratégies pour faciliter leurs apprentissages et leur permettre d’épanouir ainsi leur potentiel musical et artistique. De plus en plus d’élèves sont diagnostiqué·es mais n’osent pas en parler de peur d’être mis·es sur la touche, d’autres ne le sont pas mais présentent des caractéristiques évidentes et gagneraient à pouvoir profiter des mêmes aménagements. Loin de moi l’idée de leur coller une étiquette, il faudrait au contraire qu’ils ou elles puissent juste être eux/elles-mêmes, mais en mieux parce que non stigmatisé·es. C’est pourquoi je pense sincèrement qu’à l’avenir, l’enseignement dans sa globalité devrait prévoir davantage qu’une niche pour ces élèves, et proposer ces stratégies à tous les enseignant·es. Je sais que ma démarche a éveillé un certain intérêt et espère vivement qu’elle sera suivie par d’autres collègues, avec le soutien logistique et financier de la Direction et de la FEM, et me réjouis déjà de la plus-value que cette formation va pouvoir amener à mon enseignement et à l’institution. »

Valentina Rebaudo, enseignante d’initiation musicale au Conservatoire de Lausanne

L’Orchestre du Conservatoire de Lausanne offre une expérience unique, explorant le plaisir de jouer avec les nuances, les couleurs et les phrasés, révélant ainsi la puissance expressive d’un ensemble symphonique.